Il y a bientôt trente ans que la présentation de l'EB110 a donné le coup d'envoi de la renaissance de Bugatti. Puis la Veyron, premier modèle conçu sous l'égide du Groupe Volkswagen, a redéfini la norme de la catégorie des supercars avec sa fiche technique extravagante. On pourrait estimer que la Chiron, sa remplaçante lancée en 2016, représente la troisième génération de sportives de la marque. C'est certes vrai, mais la Divo franchit plus sûrement un palier dans l'histoire moderne de Bugatti. Un nouveau cap, synonyme d'encore plus d'exclusivité.
Le lancement du projet Divo correspond à l’arrivée de Stephan Winkelmann à la tête de Bugatti. Il a voulu appliquer la recette qu'il a initiée chez Lamborghini avec la Reventón et qui a si bien fonctionné : proposer des séries très limitées, dotées d’une carrosserie spéciale mais reprenant un maximum d’éléments communs aux autres modèles de la marque (lire notre article sur les séries limitées de Ferrari, Bugatti et Lamborghini). Pour s’offrir un de ces modèles très rares, il faut montrer patte blanche, être un client fidèle.
Un hommage à la Targa Florio, la mythique course sicilienne
Les Veyron et Chiron évoquent le passé de Bugatti en reprenant le nom de pilotes qui ont fait l’âge d’or de la marque. La nouvelle venue ne fait pas exception à la règle, puisqu’elle rend hommage à Albert Divo, as de l’aviation lors de la première guerre mondiale, devenu pilote d’usine Bugatti en 1928 après avoir couru pour Sunbeam, Talbot-Darracq et Delage. Dès sa première année de contrat, il remporte la Targa Florio, exploit réédité l’année suivante, mettant un point final à une série ininterrompue de cinq victoires de la marque de Molsheim en Sicile.
Voilà pourquoi c’est en Sicile que Bugatti nous a convié à essayer la Divo, dont les premières livraisons viennent tout juste de débuter, deux ans exactement après la présentation de l’auto au concours d’Elégance de Pebble Beach. Il nous sera malheureusement impossible de suivre complètement les traces de la Type 35 qui s’est illustrée : les routes, toujours ouvertes à la circulation, sont aujourd’hui en trop mauvais état pour qu’une voiture à la garde au sol aussi réduite puisse y circuler. Il faut dire que leur entretien est du ressort des provinces… Division administrative qui n’existe plus depuis quelques années ! Si bien que personne aujourd’hui ne sait vraiment qui doit se charger de réparer les routes en Sicile.
"Dans le temps, les routes étaient bien mieux revêtues. Car le passage de la Targa Florio chaque année, avec des prototypes de plus de 400 ch, imposait un entretien régulier", nous explique Giuseppe Vitale. Ce cardiologue palermitain est la preuve vivante que le souvenir de la Targa Florio est toujours vif en Sicile. A ses heures perdues, il réalise des maquettes d’une précision extrême reproduisant les autos les plus illustres de cette course mythique. Un de ses amis, Enzo Manzo, a mis en place le site Targapedia, qui réunit un nombre incroyable de photos de toutes les éditions. "Ce site a permis de faire des découvertes, de mettre à jour des photos jamais vues. Il y a eu une réelle émulation, de la part de gens qui avaient jusqu’ici caché jalousement leurs trésors", reprend Giuseppe Vitale.
Un musée pour la Targa Florio
Nous arrivons à Collesano, village où est située l’épingle à cheveux la plus mythique du circuit, pour visiter le musée dédié à la Targa Florio. Michele Gargano, le conservateur, nous attend avec une impatience non dissimulée pour faire visiter la collection. A l’entrée, une plaque de céramique peinte représente son père Giacinto, fondateur du musée, serrant la main d’Enzo Ferrari… Une scène qui n’existe que dans l’imagination de la famille et qui ajoute au folklore de l’endroit. Mais, à l’intérieur, les objets sont authentiques. On y trouve de vraies Targa Florio, le trophée offert au vainqueur : il s’agit d’une plaque (« targa » en italien), en or et gravée par Lalique lors des premières années. Celle-ci était remise en mains propres par Vincenzo Florio, le riche entrepreneur qui a initié la course en 1906. Etant également armateur, c’est lui qui fournissait les bateaux, au départ de Marseille, pour que tous les concurrents puissent rejoindre le port de Palerme.
Les trésors sont nombreux dans ce musée : affiches, photos, combinaisons… et chaussures. Car Ciccio, basé à Cefalu, a longtemps été un maestro pour chausser les pilotes. On y trouve des paires ayant appartenu à Vic Elford et Clay Regazzoni, venant d’une époque où la Targa Florio avait un retentissement international, théâtre de bras de fer entre Porsche, Alfa Romeo et Ferrari. La dernière édition comptant pour le championnat international des marques remonte à 1973, avant son arrêt définitif en 1977, pour des raisons de sécurité.
La Bugatti Divo ravive les souvenirs à Collesano
Pendant notre visite, les équipes de Bugatti sont arrivées dans le centre de Collesano, où le débarquement de la Divo et de la Type 35 ne manque pas de créer un attroupement. Andy Wallace, pilote officiel de Bugatti au palmarès long comme la bras, est présent. Un vieil homme l’aborde, lui disant en italien qu’il ressemble exactement à Stirling Moss, dont il garde un souvenir ému. Andy Wallace semble ravi de ce compliment chargé d’émotions.
Michele Gargano, conservateur du musée de la Targa Florio
Le contraste est impressionnant entre la frêle Type 35 et la Divo qui se présente comme sa descendante. Cette dernière est plate, extrêmement large (2,02 m pour 1,21 m de haut et 4,64 m de long). Elle ressemble presque à un engin furtif dans cette livrée en carbone apparent, recouvert d’un vernis qui teinte les reflets de bleu sombre. Chaque fibre de carbone est méticuleusement orientée à la main pour que l’alignement soit identique sur toute la carrosserie. Une option dont le tarif est d’environ 300.000 €… Ce qui ressemble à une broutille sur une auto vendue 5.000.000 € hors taxes, ce qui en fait la voiture la plus chère au monde actuellement en production. Evidemment, chacun des 40 exemplaires, vendus avant même la présentation au public, est configuré selon les moindres désirs de l’acheteur (lire notre article sur la configuration de la Bugatti Divo).
Une mise au point très spécifique
Si c’est bel et bien cette carrosserie, très différente de la Chiron, qui fait le sel de la Divo, il serait pourtant réducteur de la considérer, justement, comme une simple Chiron recarrossée. Si Bugatti lui a donné le nom de Divo, c’est qu’elle se doit d’être capable d’affronter le tracé extrêmement sinueux du circuit des Madonies, théâtre de la Targa Florio. Aussi, les réglages des trains roulants ont été revus : les ressorts sont plus fermes que sur une Chiron, et le carrossage a été augmenté. Voilà qui limite la stabilité à haute vitesse, et a contraint les ingénieurs à baisser la bride à 380 km/h, contre 420 km/h sur la Chiron. Egalement, la Divo est 35 kg plus légère (mais pèse tout de même 1.960 kg) alors que le grand aileron arrière, large de 1,86 m génère un appui allant jusqu’à 456 kg (366 kg sur la Chiron).
Une Bugatti plus légère et plus agile ? Voilà une philosophie qui rappelle étrangement la Chiron Pur Sport. "La Pur Sport se veut encore plus radicale", nous éclaire Andy Wallace. "La Divo doit être utilisable au quotidien et confortable, tout en gagnant en agilité par rapport à la Chiron. C’est flagrant à haute vitesse, où les changements de voie sur autoroute allemande sont nettement plus immédiats et précis". Si on tente un rapprochement avec la gamme 911, la Chiron serait en termes de comportement l’équivalent d’une Carrera S, la Divo d’une GTS et la Pur Sport d’une GT3 RS.
Une facilité déconcertante
Ce matin, Andy Wallace affiche un sourire de soulagement. Car les équipes de Bugatti craignaient fort de ne pas pouvoir rouler sur l’itinéraire prévu, au revêtement plus bosselé et dégradé que prévu. Après un repérage, tout va bien. "La suspension de cette voiture est extraordinaire, elle avale les bosses sans talonner ni perdre sa trajectoire". La voie est libre : nous pouvons partir des stands historiques de la Targa Florio pour remonter jusqu’à Cerda, à quelques kilomètres de là, le premier village traversé par la course.
Cette portion de route, très sinueuse, n’est sans doute pas le meilleur endroit pour exploiter les pleines capacités d’une voiture de 1.500 ch, capable de vous catapulter jusqu’à 300 km/h en 13 secondes environ. Mais Bugatti tient avant tout à revenir sur les lieux du crime et à démontrer l’agilité de son hypercar. Dès les premiers mètres, malgré le grondement intimidant du W16 de 8,0 litres (qui pèse à lui seul 400 kg), on se sent à l’aise. Grâce à un ingrédient précis : une direction au ressenti exceptionnel. Elle se révèle à la fois légère et informative. Celle d’une Porsche 911 se révèle précise, celle-ci apparaît télépathique. "Nos metteurs au point ont fait un travail incroyable", estime Andy Wallace. "C’est la preuve qu’il est aujourd’hui possible de proposer une direction à assistance électrique aussi convaincante, voire meilleure qu’une à assistance hydraulique. D’ailleurs, quand nous avons fait essayer les prototypes à nos collègues de Porsche, ils ont voulu en savoir plus. Mais les composants que nous utilisons sont trop chers pour leurs applications."
Puissance contenue
Lors de mes premiers kilomètres, le trafic m’oblige à rouler lentement. Voilà qui permet de m’habituer au gabarit et aux réactions de l’auto... et de profiter du confort étonnant de la suspension. La boîte de vitesses à double embrayage et sept rapports, signée de l’équipementier britannique Ricardo, se fait totalement oublier, égrenant les vitesses avec une fluidité exemplaire en Drive, un peu plus de brutalité en Sport. Puis, l’horizon se dégage et j’utilise les palettes au volant et le mode manuel. Le couple colossal (1.600 Nm disponibles dès 2.000 tr/min) permet de rester presque tout le temps en troisième. Un petit bout de ligne droite est l'occasion d’écraser l’accélérateur au plancher. La force est phénoménale. Moins immédiate et sauvage que dans une McLaren 720 S, par exemple, mais la montée en puissance semble inépuisable. Le virage suivant arrive déjà, je suis encore très loin de la zone rouge. Les soupapes de décharge des quatre turbos émettent un « pschhh » effrayant alors que j’écrase la pédale de frein. Le ralentissement est immédiat, massif.
Le plus sidérant, c’est que l’accélération et le freinage se sont faits sans bavure aucune, malgré les bosses qui déforment le bitume. La transmission intégrale et l’électronique sont capables de domestiquer l'énergie insensée du W16, tout comme d’adoucir le mordant phénoménal des disques de freins en carbone-céramique. Il y a toujours l'impression d'une force contenue, d'une machine qui se contrôle d’elle-même, comme si elle se sentait à l’étroit, privée des grands espaces. Même si la Divo semble à première vu comme un éléphant dans un magasin de porcelaine sur les routes des Madonies, elle parvient à s’en tirer plus que décemment. Parce que les ingénieurs l’ont voulu et ont réalisé un tour de force. C’est une constante chez Bugatti, depuis que Ferdinand Piëch a exigé 1.000 ch dans la Veyron.
Cent ans en arrière avec la Type 35
Mais, presque centenaire, la Type 35 n’a pas dit son dernier mot. Elle est aussi capricieuse que la Divo est docile : avant de m’emmener en passager, Andy Wallace doit mettre le réservoir sous pression avec une pompe manuelle, puis pomper trois fois à l’aide d’une autre manette pour amener l’essence dans les carburateurs. Enfin, le huit-cylindres en ligne s’ébroue dans un ronronnement au charme incomparable. Engager la première demande un savant dosage du régime de ralenti, sous peine de faire craquer les pignons de la boîte.
Dans les quelques virages qui mènent à Cerda, la Bugatti Type 35 se sent chez elle. Compacte (elle est large de seulement 1,32 m), légère (750 kg), elle virevolte dans les courbes en exploitant la largeur de la route, qui était tout entière occupée par la Divo quelques minutes plus tôt. Malgré ses pneus pas plus larges que ceux d’une mobylette, malgré le carrossage positif de son train avant, elle s’accroche au bitume avec une étonnante ferveur. Elle est l’exact contraire de celle qui veut lui rendre hommage. Et pourtant, l’une et l’autre suscitent et susciteront encore longtemps la folie des collectionneurs.
- Direction exceptionnelle
- Agilité étonnante
- Puissance inépuisable
- Exclusivité incomparable
- Déjà toutes vendues
- Largeur pénalisante
- Insonorisation perfectible en Drive
- Moins rapide qu'une Chiron
- Performances5/5
- Comportement routier5/5
- Confort4/5
- Aspects pratiques2/5
- Prix/équipements-/5
- Qualité de présentation5/5
- Consommation-/5
August 27, 2020 at 06:31AM
https://ift.tt/3b0s7cn
La Bugatti Divo à l’assaut du circuit de la Targa Florio - Challenges
https://ift.tt/2Vh79j5
Bugatti
No comments:
Post a Comment